"Le Sporting en division I ! Les
Toulonnais se souviendront longtemps de ce 28 juin 1964, au soir duquel tomba le
verdict, sans appel, des matches de barrages. Après l'éclatante victoire de l'équipe
maritime sur le Stade Français, victoire accueillie dans une ambiance délirante,
la saison s'acheva donc sur ce coup de théâtre qui, pour être le dernier,
n'en fut pas moins aussi le plus stupéfiant.
Pensez, en effet, que le 5 avril, après son échec devant l'OM au stade vélodrome,
Toulon comptait sept points de retard sur son voisin phocéen. Mais les sept
dernières journées de Championnat de Division II allaient valoir autant de
succès aux jeunes varois qui, dépouillés de leur timidité et ayant pris du même
coup conscience de leurs possibilités, purent de la sorte coiffer sur le fil un
OM tout au contraire en perte de vitesse, pour la deuxième place de barragiste
.
Déjà, on pouvait estimer alors que les Toulonnais avaient rempli leur mission
au-delà de toute espérance, puisqu’aussi bien ils avaient abordé cette
saison avec l'unique but d'y faire bonne contenance et de s'aguerrir:
"Quoi qu'il puisse nous arriver dans ces barrages, nous sortirons
gagnants", soulignait l'entraîneur Hervé Mirouze, pour lequel la montée
en Division I n'était qu'un objectif encore éloigné de un ou deux ans.
Dans ces conditions, la sensation fut énorme, lors de la première rencontre
d’appui dans un stade de Bon-Rencontre littéralement survolté, de voir l’éclatante
jeunesse toulonnaise balayer les vieilles jambes du Racing. 5-1 : de la rade au
Mourillon, l’enthousiasme se répandit comme une traînée de poudre : dès ce
jour-là, l’extraordinaire public méditerranéen se mit à l’heure de la
division I. Malgré les réticences de l’état-major du Sporting, qui ne
s’estimait pas encore préparé pour cette tache, en dépit même du manque évident
de maturité des vedettes du club qui, impressionnées, inaccoutumées à la
lumière artificielle , émoussée par deux mois de travail et d’efforts
incessants, subirent, à quatre jours d’intervalle, deux échecs sans rémission
sur la pelouse du Parc des Princes :
"Vous le voyez bien, admettait le Président Leterreux après la deuxième
défaite contre le stade, notre équipe n’est pas mûre. Dans un an, elle sera
bien d’avantage au point et nos talents neufs pourront s’exprimer
pleinement".
Cette impression, on la garda durant la première mi-temps du match retour
contre le Stade à Bon-Rencontre où, malgré l’enthousiasme inouï de la
foule, l’équipe parisienne, fit le jeu et mena à la marque. Mais c’était
sans compter avec les ressources insoupçonnables de cette jeunesse toulonnaise
qui, fouettée dans son amour propre, jouant brusquement son va-tout et
retrouvant ainsi sa joie de jouer, son panache et sa fureur de vaincre, étouffa
dès lors le Stade comme elle avait bousculé le Racing quinze jours lus tôt.
Ce qui se passa ensuite restera gravé dans les mémoires : le spectacle de ces
12000 supporters descendus dans l’arène, l’allégresse de tous ces gens
sortaient vraiment de l’ordinaire.
C’est ce soir-là, sur le coup de 20 heures, que l’on a pu se dire justement
qu’avec ce public "en or", avec ces dirigeants qui voient clairs,
avec cet éducateur hors-pair qu’est Mirouze, avec, enfin, cette foi de débutants
et cet amour des couleurs qui habitent les joueurs, le Sporting-Club de Toulon
apportait un appréciable souffle d’air pur dans l’atmosphère viciée de
notre football professionnel.
Quand on sait que le club varois, grâce à un laborieux travail en profondeur,
peut dorénavant se vanter de compter parmi nos rares pépinières de jeunes,
quand on a pu apprécier les fleurons de son école (il y en aura d’autres)
qui ont nom Simian, Meggiolaro, Robert et Francis Blanc, Laffont, Meunier –
tous des gars du cru – on peut croire que Toulon va apporter quelque chose au
football français. C’est pour cela que l’on veut espérer qu’il passera
sans dommage son premier test en Nationale*. "Prématuré" ont souligné
les observateurs. Certes, mais avec autant de jeunesse, de dynamisme, de talent
et de fraîcheur conjugués, il n’y a à désespérer de rien…
…D’autant que, consciente de la vitalité nouvelle du football dans le grand
port de guerre, la municipalité toulonnaise vient d’allouer quelque quarante
millions d’anciens francs au Sporting. Juste ce qu’il fallait, en vérité
pour colmater quelques brèches au sein de l’équipe – car le budget du
club, lui, est à jour – afin d’assurer son maintien en attendant que les si
belles promesses d’aujourd’hui se concrétisent."
SINET Victor, Toulon, un souffle d’air pur dans le football pro,
Football Magazine, n°55, août 1964 .
* Nom de la D.I à l’époque