ARTICLE SUR LE DEPART DE LEONARDO RODRIGUEZ |
Léonardo Rodriguez : "TAPIE NE FAIT PAS DANS LES SENTIMENTS"
Leo Rodriguez est parti. Il participe actuellement à une tournée de l'équipe nationale d'Argentine, au Japon, avant de rejoindre l'Italie et l'Atalanta Bergame. Il s'en va donc, jetant un dernier regard sur un football français dont le jeu l'enchante mais dont les moeurs lui échappent.
Leonardo, votre séjour en France aura
finalement été bien plus court que prévu ?
C'est vrai. Ce n'est pas sans regrets que je quitte la France. J'ai découvert ici un football comme je l'aime, vif et technique. Je m'y sentais à l'aise. |
Auriez-vous préféré rester en France plutôt que de jouer en Italie ?
J'étais prêt à rester, mais pas n'importe où et pas n'importe comment. Venu pour jouer à Marseille, je m'étais retrouvé à Toulon. J'avais accepté les arguments des dirigeants marseillais qui disaient que j'étais arrivé trop tard, bien après le début du championnat, mais que j'avais la perspective de rejoindre l'OM pour la saison 1992-1993. Cela dit, je ne voulais surtout pas renouveler une telle expérience. Si Tapie avait voulu me prêter à Rennes par exemple, il y aurait eu problème.
Pour vous, c'était l'OM ou l'Italie...
Exactement. Je l'avais dit à Tapie en janvier dernier par l'intermédiaire de France Football. Je constate avec satisfaction qu'il a compris le message. Ce sera donc l'Italie, où j'évoluerais avec les meilleurs joueurs du monde. C'est un rêve qui se réalise.
Après votre transfert à l'Atalanta, vous avez remercié Tapie de vous avoir offert l'occasion de vous faire connaître en Europe...
J'ai lu ça dans la presse. J'ignore d'où peuvent bien venir ces déclarations, mais ce n'est sûrement pas de ma bouche. Je ne dois rien à Tapie, pas plus qu'à l'OM. Après la Copa America, en juillet dernier, 11 clubs européens avaient voulu m'engager. Si j'ai signé à Marseille, c'est parce que je l'ai décidé. J'avais vu à la télé la finale de Bari et je m'imaginais jouant juste derrière Papin, avec Waddle ou Pelé sur les côtés. C'était pour moi l'équipe idéale. Fernando Miele, le président de San Lorenzo, a jugé la proposition marseillaise assez bonne, et pour le convaincre, j'ai dû sacrifier mes 15% sur le transfert, ce qui fait beaucoup d'argent. Mais l'Europe, j'y serais venu de toute façon, avec ou sans Tapie.
"Pour Tapie, j'étais une bonne affaire"
Vous en voulez à Tapie de ne pas vous avoir offert une chance d'évoluer à l'OM ?
J'ai vite compris que les gens qui dirigent l'OM ne font pas dans les sentiments. S'ils peuvent se servir de toi, ils te prennent Si tu ne leur conviens plus, ils te laissent tomber. Et si tu leur permets de faire une bonne affaire, ils en profitent. Avec moi, ils ont opté pour la 3ème solution. Tapie m'avait remarqué à la Copa America. Il a vu qu'il pouvait m'avoir pour pas cher, compte tenu de la situation économique que connaît l'Argentine, et il m'a acheté en sachant que, de toute façon, il pourrait me revendre plus cher. J'étais, pour lui, ce qu'on appelle une bonne affaire. Rien de plus.
A propos d'affaire, il vous avait payé dans les 8 millions de francs à San Lorenzo. Combien en a-t-il tiré de l'Atalanta ?
A ma connaissance, le montant du transfert a été de l'ordre de 2 millions de $, soit environ 12 millions de francs, j'ai lu dans la presse italienne d'autres montants, dont certains dépassent les 4 millions de $. J'en suis surpris, mais je préfère m'en tenir aux chiffres qui m'ont été communiqués.
Pour Leo Rodriguez, ce transfert est une bonne affaire ?
Je gagnerai le même salaire qu'à Olympique de Marseille (110 000 francs par mois NDLR) mais les primes de match seront supérieures. J'ai signé pour 3 ans soit jusqu'en 1995.
Vous n'êtes pas le seul à quitter l'OM. Il y a aussi Papin, Waddle, ...
(Il s'emporte) La façon dont ils se sont séparés de Waddle m'a choqué. Un joueur comme lui qui avait tant donné à l'OM ! Ca confirme ce que je disais sur les sentiments. Ils n'ont pas leur place à l'OM. Le fait d'avoir bien travaillé ne compte pas. Les dirigeants ne raisonnent qu'en fonction de l'équipe qu'ils veulent monter pour la saison prochaine...
Vous n'y avez pas votre place ?
Ils se sont dit qu'ils avaient Boban Boksic, Pelé, et que mon rôle pouvait être assumé par eux. Et puis, croyez-vous qu'il y a beaucoup de joueurs marseillais qui puissent être placés en Italie ? Mon transfert offrait à l'OM la possibilité de faire une bonne opération financière.
"L'OM a payé en retard"
Peut-être aussi l'occasion d'en finir avec les polémiques créées par votre transfert ?
C'est fort probable.
Il y avait eu, pour commencer, les plaintes du président de San Lorenzo, qui accusait l'OM de ne pas avoir payé votre transfert dans les délais prévus. Des accusations démenties par les dirigeants marseillais. Où est la vérité ?
La vérité est que l'OM a payé avec du retard, un mois et demi ou 2 environ. C'est là que les problèmes ont commencé. Fernando Miele, le président de San Lorenzo qui est engagé dans la construction d'un nouveau stade, s'est fâché, tenant des propos durs à l'encontre de certains dirigeants marseillais.
Toujours est-il que quelques semaines après vos déclarations dans France Football, M. Miele a fini par toucher son argent. Tout comme vous d'ailleurs...
Les dirigeants de l'OM, comme tous les autres, tiennent beaucoup à leur image. Dès que la presse s'empare d'une affaire, ils sont logiquement un peu inquiets. Il est certain que mes déclarations à France Football et les polémiques qui ont suivi ont eu un effet très positif, aussi bien sur le plan financier que sur celui de mon avenir professionnel.
On avait découvert alors la complexité de votre situation. L'OM vous avait payé, mais légalement vous étiez un joueur de San Lorenzo prêté à Toulon et n'appartenant donc pas à Marseille.
C'était vraiment bizarre. On en faisait même des blagues à l'OM.
Des blagues ?
Oui par exemple après mon transfert à l'Atalanta, un journaliste a demandé à Bernès : "Alors vous avez finalement vendu Leo ?" Et Bernès de répondre : "Comment voulez-vous le vendre s'il ne nous appartient pas ?" (Rires)
Sérieusement, c'est toujours San Lorenzo qui a le pouvoir d'adresser votre lettre de sortie à la Fédération italienne. Pas l'OM...
C'est exact.
Or le président Miele réclame toujours à Marseille un dédommagement pour compenser les pertes qu'il a subies à cause de retards de paiement de l'OM. Ne craignez-vous pas qu'il refuse d'autoriser votre transfert ?
Fernando Miele m'aime beaucoup et m'a promis de ne rien faire qui puisse me faire du tort. Or il sait que ce transfert est très important pour moi. Je suis sûr qu'il n'y fera pas obstacle, même s'il continue à réclamer l'argent à Marseille.
"S'ils peuvent se servir de toi, ils te prennent. Si tu ne leur conviens plus, ils te laissent tomber. Et si tu leur permets de faire une bonne affaire, ils en profitent."
Pensez vous que les Marseillais ont eu peur de vous perdre ?
Je ne crois pas. Mais ils ont pris l'affaire très au sérieux.
"Eh, Leo ! Qu'est-ce que tu fais ?"
Votre double appartenance a donné lieu à des suspicions, notamment lors du fameux match OM-Toulon que, de votre aveu, vous avez joué sans enthousiasme...
J'avais l'impression de jouer contre ma propre équipe. Lors de mon prêt à Toulon, on m'avait dit que je ne jouerais pas ce match. Finalement, ça a fait du bruit, les polémiques ont commencé, et on s'est qu'il valait mieux que je joue. Mais ce n'est pas un match normal, il y avait trop de tension autour.
L'enjeu était très fort...
Bien sûr. Monaco était en train de revenir sur l'OM et Marseille était obligé de l'emporter s'il voulait garder une marge de sécurité. Il s'agissait aussi d'un derby, avec tout ce que cela comporte comme tension. Et Toulon, qui était loin d'être sauvé, avait besoin de réussir quelque chose. La pression était terrible !
Vous aviez la pression ou vous la
subissiez ?
J'avais la pression. Des supporters marseillais venaient me voir et me disaient qu'ils voulaient m'avoir à l'OM... Uniquement des supporters ? Quelques jours avant la rencontre, vous étiez à Marseille ? C'est vrai, c'était le lundi ou le mardi, je me souviens plus. Je devais résoudre avec Bernès le problème de ma participation à ce match. La situation n'était pas simple, car de son côté le président de Toulon, M. De Courson, qui connaissait mes contacts avec Bernès, était très irrité. En fait chacun défendait sa position. |
Certains disent avoir vu Bernès, à la mi-temps de Marseille-Toulon, et alors que Toulon menait 1-0, rôder autour de vous...
Je ne sais pas s'il rôdait ou pas. Je me suis retrouvé nez à nez avec lui en sortant des vestiaires. Il m'a apostrophé : "Eh Leo ! Qu'est ce que tu fais ?" Il est vrai que le but toulonnais était parti de moi. Mais 48 heures plus tard, et malgré la victoire finale de Toulon, l'ambiance autour de moi, à Marseille, était aussi sympathique qu'avant.
On sent que ce match ne vous a pas laissé un très bon souvenir...
Disons que je ressentais, peut-être excessivement, ma double condition de joueur de Marseille et de Toulon. Je m'en voulais d'avoir contribué à la défaite de l'OM. Même si ça n'a pas eu de conséquences graves.
"J'aurais voulu dire certains choses à Tapie"
La victoire toulonnaise, en tout cas, n'a servi à rien, puisque le club se retrouve, malgré tout, en 2ème division...
J'ai appris ça dans la presse argentine. Ca a été un coup vraiment très dur pour moi. Mon seul objectif sportif de la saison avait consisté à sauver Toulon, qui était dernier à mon arrivée. On s'est battus, on y était parvenus, et pourtant, en fin de compte, l'équipe est reléguée pour des raisons financières...
Ça vous a surpris ?
Le sujet était dans l'air, c'est sûr. Mais je croyais que De Courson faisait un travail sérieux. Il avait pris le club dans une situation dramatique et était parvenu à le redresser. Je ne comprends pas. Toulon a des problèmes, d'accord, mais d'autres clubs en France en ont aussi. Je ne comprends pas la logique de la DNCG.
Ça gâche un peu vos adieux à la France...
Tout n'a pas été négatif, il faut le souligner. J'ai laissé une bonne image comme footballeur et comme être humain. Mais mon séjour dans le Var me laisse aussi des frustrations. Je n'ai pas pu me battre pour conquérir un titre ou une place européenne. Je regrette aussi de n'avoir pas pu jouer un seul match de Coupe de France.