Journée 4 - 28/08/1985

A Toulon, Stade Mayol, Toulon et Bordeaux 1 à 1.

17 110 spectateurs.

But pour Bordeaux : Battiston.

Toulon : Olmeta - Berenguier, Casoni, Courbis, Boissier - Dib, Ricort, Tlemcani - Benedet, Onnis, Emon.

Bordeaux : Dropsy - Thouvenel, Specht, Battiston, Rohr - Martinez, Girard, Giresse, Tusseau - Lacombe Audrain.
Remplaçant : Tigana

Un stade dans la ville

    Certains préfèrent Villefranche à tous les autres ports de la Côte. D'autres poussent jusqu'à Portofino. Les plus classiques s'arrêtent à Nice et les plus chanceux à St Jean Cap-Ferrat. Des goûts et des couleurs ! Les Toulonnais, eux, entre le mont Faron, Saint Mandrier, leurs mimosas et leurs figuiers, vous disent d'aller chercher bien loin ce qui existe sous leurs pieds et devant leurs yeux. "Même la baie de Rio ne vaut pas la nôtre", vous disent-ils sans aucune mauvaise foi. Ils ont raison. Leurs oursins sont plus frais que ceux du carreau des Halles de Rungis. Et l'on parle pas de la rascasse, "qui se fait toute minable quand elle prend le train".

    Entre la mer, le ciel, le pastis, le loup grillé, les belles couleurs pain-cuit et les pins parasols, le Toulonnais attend en paix le Jugement dernier. Il n'y croît guère, d'ailleurs, à l'Apocalypse, puisqu'il est au paradis.

    Il pourrait, ce verni, laisser les jeux de balle à ceux qui ont besoin de se réchauffer. A ces pôvres auxquels on ne prête qu'un abrégé de soleil et encore "on est bien bon avec ces couillons que personne n'obligeait à aller habiter dans les glaces".

 

    Toulon est pourtant une ville de football. Une ville qui garde même son stade au coeur de la cité, ainsi qu'un théâtre ou un forum. Des tribunes, vous surveillez le paquebot qui doit vous emmener pour Cythère et, quand le jeu commence, il n'est pas rare que vous sentiez le mouvement des vagues.

 

    Le stade Mayol a sa réputation. A la cérémonie des crampons, quand 1 joueur du Sporting choisit des "10 millimètres cuir", les autres se marrent : "Ah ! Oui, ceux qui ont du sand !" Les plus grands ne sont pas très à l'aise à Mayol, sur la pelouse, on y sent le souffle des spectateurs du 1er rang, certains fleurant encore "les bartavelles bourrées de pèbre d'ail". Ça pousse, ça crie et ça bouscule. Il arrive même qu'une gifle se perde dans les remous de la mer montante.

 

    Notez bien que le BR d'antan, avec sa pelouse bosselée et ses grillages de poulailler, était un tout autre chaudron. Nous avons souvenance d'un match de D2 en 1963-1964 (le Sporting allait monter), au cours duquel Borowski, Laffont, Vicot, Célestin Olivier et les frères Blanc avaient passé le FC Metz à l'essoreuse (4 à 1). En comparaison, Mayol s'approche nettement de la civilisation.

 

    Il s'en approche d'autant plus qu'une volonté ferme d'en finir avec les débordements des fous s'exprime dans les faits. Vendredi dernier, 3 h avant le match contre Bordeaux, les policiers toulonnais contrôlaient déjà les premiers spectateurs. "Ce n'est pas facile, nous expliquait l'un des responsables du club des supporters. A Monaco, nous avons dû dédouaner 2 jeunes de chez nous qui, une fois entrés au stade LouisII, avaient déployé leur canne à pêche pliante pour récupérer à l'extérieur leur stock de pétards et de fusées."

 

   La naissance d'1 grand club, et sa crédibilité, passent par la rigueur en toute chose. C'est ce que Toulon a compris, sous l'impulsion qui ne ménage pas ses efforts et qui est probablement (il n'existe pas de statistiques), l'une des plus en pointe dans ce domaine. "Le déclic, pour nous, s'est produit au moment de la descente du Sporting en D3. C'était exagéré pour 1 ville de l'importance de Toulon. Alors nous avons décidé de nous engager. A fond, comme chaque fois que nous nous engageons sur 1 projet. En faisant confiance à des professionnels compétents." Le Maire, Maurice Arreckx.

 

   Les professionnels en question sont 4, comme les mousquetaires, sous le contrôle et l'autorité d'un nouveau président, M. Leterreux, dont le nom dit d'autant plus quelque chose qu'il impulsait déjà le Sporting d'il y a 20 ans ; Rolland Courtois, manager général ; Christian Dalger, entraîneur ; Delio Onnis, conseiller ; Eric Goiran, secrétaire (ex-AS Cannes).

   Le trio monégasque Courbis - Dalger - Onnis additionne 1 formidable somme de compétences. Il faut les voir tous les 3, défenseur, créateur, buteur, décortiquer le jeu, leur équipe, l'adversaire, pour en dégager idées-forces et initiatives. "Nous formons 1 puissance. Rien ne dit que chacun de nous, seul, serait aussi efficace" M. Courtois.

 

   1/2 finaliste de la Coupe en 84 ("Nous aurions dû jouer la finale" dit Courbis), 6ème du championnat 1985, l'équipe toulonnaise est en train de vivre sa phase décisive de mutation. Nous l'avons vue, privée pourtant d'Alfano, de Roussey et de Paganelli, bousculer pendant 1 mi-temps le champion de France, dans un style qui en dit long sur ses possibilités : fond de jeu, sang-froid, enchaînements, qualité technique. Avec un peu de réussite, Toulon eût mené 2-0 et sans doute obtenu 1 victoire retentissante, mais peut-être prématurée. Car au milieu de tous (Victor Ramos, Olmeta, Emon, surprenant meneur de jeu), l'équipe toulonnaise a encore a acquérir la vraie maturité tactique et une plus vaste intelligence collective qui la préserverait de se faire piéger comme dans la cour de la communale par le féroce Battiston.

    Quoi qu'il en soit, tel qu'il est, le Sporting avance vers 1 avenir qu'on lui devine. Il est 1 rascasse, difficile à prendre mains nue par la tête.

 

    Les Girondins n'ont, cependant, pas obtenu, au stade Mayol, 1 point miraculeux. Ils pouvaient même, en fin de match, en obtenir 2, alors qu'ils étaient privés, on doit le préciser, de Girard, de Tigana, de Chalana, de Bernard Lacombe et, à partir de la 55ème minute, de Specht, soit la moitié d'une équipe nationale.

    Dans ce match au sommet qu'est Toulon-Bordeaux, la sortie de Specht fut une brisure nette pour le jeu et une forte déception pour nous-mêmes. Car nous étions en train d'assister à 1 démonstration tactique éblouissante des champions de France, laquelle allait déboucher presque inévitablement, selon nous, sur 1 victoire bordelaise. Devant la carence de l'attaque girondine et pour répondre aux problèmes posés par le milieu toulonnais, Patrick Battiston s'était avancé d'un cran sur l'échiquier vert. Non seulement il venait d'égaliser magnifiquement - balle piquée pour lui-même par-dessus le rideau défensif adverse et frappe de balle atomique - mais il était en passe, à lui tout seul, de casser l'équilibre du Sporting en s'engageant systématiquement sur le côté droit et de révolutionner les données fixées par la 1ère mi-temps.

   Nous avions sous les yeux le Battiston de classe internationale que l'on aimerait voir s'épanouir totalement et aller jusqu'aux limites de son impossible. Il y va, mais il aura tardé.

   Pour en revenir à Bordeaux, l'entraîneur toulonnais Christian Dalger a été impressionné par sa manière d'être : " Cette équipe s'adapte à toutes les circonstances et son ajustement à notre dispositif, en début de seconde mi-temps, témoigne de son intelligence. Toulon est capable, lui aussi, de faire preuve d'initiative tactique, mais pas sur 90 minutes. Il y a toujours, chez nous, à 1 moment ou à 1 autre, quelque chose qui grince. C'est pourquoi je trouve qu'on parle trop de nous en ce moment. C'est prématuré. " Christian Dalger est trop modeste. Le stade, dans sa ville, est 1 coeur qui a besoin de sang. Par bonheur, et quoi qu'en dise la légende, ce n'est plus le sang des autres.